LE SABRE ET L’ESPRIT D’IKKYO
Par Mitsugi Saotome in « Les principes de l’Aïkido »

L'histoire du sabre et de son maniement au Japon est l'archétype du budo auquel répond l’aïkido : comment un art martial devient-il un instrument de paix ? D'un côté, l'histoire des samouraïs japonais est une histoire de sang, de mort et de cruauté. De l'autre, de cette mêlée sanglante sont sorties les hommes les plus pacifiques et les plus éclairés de l'histoire du Japon. La destruction et le chaos ont donné naissance à une philosophie de communion avec les principes divins universels et d'amour du prochain.

Cela n'est pas aussi contradictoire qu'il n'y paraît. Quel homme peut mieux comprendre la vraie valeur de la vie que celui qui connaît la réalité de la mort ? Qui peut mieux comprendre la perte de valeurs morales engendrées par les conflits, l'effusion de sang, les cercles vicieux de la vengeance et de la rancune et les luttes de pouvoir qui s'ensuivent, que celui qui a été plongé ? Bien sûr, beaucoup ont philosophé de loin sur les méfaits de la guerre et la futilité de celle-ci, mais leurs idées n'ont pas été façonnées par la réalité de ces maux. Ils ne connaissaient pas leurs ennemis, et c'est pourquoi lorsque leurs théories ont été confrontées à la réalité, l'ennemi s'est avéré plus fort. Au sein de la pauvreté spirituelle de la guerre, on trouve donc certains des plus riches témoignages de compréhension profonde de la voie de la paix.
Cet éveil spirituel a été acquis au prix de beaucoup de souffrance et de vies humaines. La plupart de ceux qui ont suivi la voie du sabre sont restés empêtrés dans les conflits et les batailles mortelles. Ils ont été incapables de se libérer de la peur de la mort et des conséquences néfastes qui découlaient de leurs actions violentes. Cependant, dans leur entraînement d'homme de sabre et de guerriers, se trouvaient les concepts clés qui auraient pu leur permettre d'échapper au piège du conflit et de l'effusion de sang. Pour comprendre comment cela est possible, il faut garder à l'esprit le concept de yin et yang, chaque idée ou action implique l'existence de son contraire et l'union des oppositions constitue la vérité à part entière. L'illustration la plus simple de cela est la vie et la mort. La vie et la mort semblent opposées et pourtant aucune des deux n'est complète sans l'autre. Toute chose vivante doit mourir un jour ou l'autre, la mort fait partie intégrante de la vie. Un monde sans mort est un monde sans vie, autrement dit seules les choses sans vie ne meurent jamais. L'homme de sabre qui était entraîné à donner la mort ne tuait pas seulement pour tuer. Il tuait pour protéger quelque chose à quoi il tenait , sa propre vie, son honneur, son seigneur, ses gens… L'art du sabre est donc destiné à accomplir deux idéaux opposés, la protection et la destruction de la vie. Pour arriver à poursuivre ce double but, l'homme de sabre devait développer un état de conscience qui puisse embrasser encore une contradiction de plus : il fallait que son engagement dans cette voie soit tel que sa propre vie soit négligeable en comparaison. Il devait être capable de sacrifier volontairement sa vie pour pouvoir tuer son ennemi. Ceci est appelé Ai Uchi c'est-à-dire « destruction mutuel ». Cependant, si un homme avait vraiment atteint cet état d'esprit, ce très haut degré de résolution et de détermination dans lesquels sa vie n'avait plus d'importance, il acquérait paradoxalement une meilleure chance de survie. L'état de conscience de Ai Uchi élève la confrontation un niveau où la force et la faiblesse n'ont plus de sens. La vie et la mort de chacun est équivalente, et le seul enjeu ici est précisément une question de vie et de mort. De plus si l'homme de sabre accepte profondément le caractère inévitable de sa mort, il se libère de la peur de mourir et peut alors poursuivre son chemin sans douter et avec détermination.
L'état de conscience Ai Uchi ne peut être atteint par un mépris de la vie, mais au contraire en prenant conscience de la véritable valeur de la vie. Une personne ne peut pas vraiment donner sa vie sans en connaître la vraie valeur, s'il flirte avec la mort sans apprécier la vie, il est assailli au moment crucial par des regrets ou des désirs jusque-là enfouis et être pris de panique. De même, personne ne peut désirer la mort de son adversaire sans en comprendre profondément la signification. L'acceptation de sa propre mort ne peut se concevoir qu'en s'élevant au-dessus de l'attachement à la vie, et non en ignorant le don précieux qu'elle représente. C'est pourquoi l'homme de sabre à la poursuite de la mort est contraint de s'accommoder de la vie. Dans ses tentatives pour préserver la vie, il doit acquérir une acceptation tranquille de la mort. Par son acceptation de la mort, il acquiert une sérénité intérieure et une détermination qui lui permettent de rester en vie, et par son manque d'attachement à la vie, il accède à une compréhension plus profonde de celle-ci. Voilà ce qu'était le concept d’Ai Uchi.
 Il n'en reste pas moins qu’ Ai Uchi est une philosophie orientée vers la destruction et la mort. Certains hommes de sabre ont pu transcender les limitations d’ Ai Uchi pour atteindre une sagesse encore plus grande et la sérénité intérieure.
Un de ces hommes est Harigaya Sekiun, un grand homme de sabre qui vécut au XVIIe siècle. Il a pris conscience que la force et l'habileté, si grande soit-elle, ne pouvait garantir la paix de l'esprit et la sécurité du corps. Voilà ce qu'il a écrit : « ceux qui me sont inférieurs, je les battrai. Ceux qui sont plus habiles que moi me battront. Si mon adversaire et moi-même sommes de même niveau, alors ce sera à Ai Uchi. Cela est le sommet de l'ignorance et de la bêtise. Cela repose sur les mêmes tactiques et le même état d'esprit que les animaux tels les tigres, les loups et autres bêtes sauvages qui se battent pour survivre. Je renonce complètement à suivre cette voie. Cela n'est pas la voie du sabre et ne devrait pas être le comportement d'êtres humains ».
Alors que beaucoup considèrent Ai Uchi comme une attitude éclairée, il est évident que ce n'est pas le cas d'Harigaya Sekiun. Il avait le sentiment qu'aucun homme ne peut vraiment accepter de donner sa vie car l'instinct de conservation est trop profondément ancré dans la nature humaine. Sekiun en voulait pour preuve l'histoire de la civilisation. Confronté à une situation de vie ou de mort, un homme souhaitera toujours sortir vainqueur.
Sekiun introduisit le concept de Ai Nuke ou « préservation mutuelle de la vie ».
Pour accéder à Ai Nuke, il faut entrer dans le royaume de mu, le vide éternel. Il faut comprendre le principe universel qui sous-tend chaque vie et essayer d'acquérir un amour qui embrasse toute forme de vie. Le désir de préserver sa propre vie et l'attachement à la victoire, il est considéré comme procédant d'une vue étroite de la valeur de la vie. Pour utiliser ses propres mots : « la voie du sabre est enracinée dans la conscience du sage. Elle est contenue tout entière dans cet état mental. Il n'y a qu'une seule voie, bien qu'elle puisse prendre de nombreux aspects. Les sages anciens et modernes s'accordent sur ce point. Étant donné cette convergence de pensée, le sage ne s'embarrasse pas l'esprit pour savoir qui est le plus grand et qui est le plus faible. Si deux sages se retrouvent face à face, le résultat de cette confrontation sera inévitablement Ai Nuke. »
Kazumi Ise No Kami Nobutsena, le fondateur de l'école de sabre Shin Kage Ryu, a exprimé un point de vue similaire : « vaincre le mal ou se protéger des blessures n'est qu'un simple corollaire du but des arts martiaux. Le véritable but à atteindre est une liberté absolue vis-à-vis des désirs et des attachements. Pour faire ne serait-ce qu’un pas dans cette direction, il faut essayer de découvrir le sens divin de la vie. Il faut posséder l’épée de la sagesse et apprendre à être en unité avec l'univers. Ce faisant, il est alors possible d'accéder au véritable sens de Bu dans le monde divin. »
Les hommes de sabre qui ont acquis cet état d’éveil ne l'ont atteint qu'après s'être engagé dans de nombreux combats et avoir subi beaucoup de difficultés. Sekiun a fait plus de 50 combats au sabre et a survécu. Les dures expériences de la guerre ont appris à ces hommes l'inanité spirituelle du combat. Au milieu de la mort, ils ont découvert la beauté de la vie. Ils ont appris que « Satsu jin ken », l'acte de tuer son ennemi était un suicide spirituel. « Katsu jin ken » la préservation de la vie de l'adversaire est la seule véritable victoire, la seule façon de conserver l'intégrité de sa propre vie.
Cette conception du budo, c'est-à-dire posséder un amour de la vie si grand qu'il vous permette d'aimer votre ennemi, et la force spirituelle pour mettre cet amour en pratique est au cœur de la philosophie de l'aïkido. Sa manifestation physique et pratique est le principe d’Ikkyo.

Ikkyo: l'arme de l'esprit.
Devenir un guerrier qui suit la voie du budo n’est pas chose facile.
Ai Nuke, « préservation mutuelle », et Katsu jin ken, « la sauvegarde de la vie de l'ennemi », impliquent tous les deux que vous ayez le choix. Si vous êtes complètement à la merci des autres, vous ne serez jamais en mesure de contrôler l'évolution de la confrontation. Vous ne pourrez sauver votre vie ni la vie de ceux que vous voulez protéger et ne pourrez empêcher votre adversaire de noircir son âme en vous tuant. Pour mettre Ai Nuke en pratique, vous devez avoir une grande force.
Je ne parle pas ici du concept de « paix par la force » avec lequel les dirigeants modernes justifient une prolifération nucléaire insensée. Je parle de la force intérieure qui permet à une personne en danger de garder courage et calme en face du désordre et du danger. Vous comprendrez peut-être si je vous dis qu'un homme comme Mahatma Gandhi personnifie l'esprit du budo et est un exemple de vrai guerrier, bien plus que beaucoup de militaires actuels. Il n'a jamais utilisé d'autres armes que son courage et son esprit serein et invincible. À maintes et maintes reprises, il a offert sa vie en sacrifice pour sauver et améliorer celle des autres. Et à chaque fois, ses ennemis, confrontés à son courage et forcés d'examiner leur conscience, n'ont pu se résoudre à le laisser mourir et se sont soumis à sa volonté. Son détachement par rapport à sa propre vie n'était pas fondé sur le mépris de la vie mais au contraire sur une profonde perception de son caractère précieux. Il a dédié sa vie à améliorer celle des autres. Ce n'est pas l'arme qu’il porte qui fait le guerrier, mais l'esprit avec lequel il la manie.
Le principe de base de Ikkyo, Kurai Dori, est de contrôler l'esprit de l'adversaire. Ikkyo veut dire « premier principe » et se réfère également au premier instant. L'essence d’Ikkyo repose sur l'idée de contrôler l'assaut dès qu'il est engagé, et non pas sur les mouvements spécifiques qui sont utilisés pour y parvenir. Dans les nombreuses séries de photos qui montrent Ikkyo, vous verrez une grande variété de mouvements exécutés à mains nues ou avec des armes. Tous cependant ont en commun le fait que le défenseur contrôle le centre de l'attaquant dès le début du mouvement.
A partir du moment où vous contrôlez la situation, vous êtes en position de choisir de blesser ou d'épargner votre ennemi. Le choix de l'aïkido est de protéger. L'attaquant aussi dispose d'un choix, ceci est clairement visible dans la forme de Ikkyo qu'on appelle Ichi no tachi. Dans Ichi no tachi, les deux partenaires ont des sabres. De nombreuses variations techniques permettent aux défenseurs de se mettre dans une position telle qu'il ait la vie de son adversaire à sa merci en un seul mouvement. Dans une des versions qui est montré, tandis que l'attaquant monte son sabre pour frapper, le défenseur pointe son sabre à la gorge de l'attaquant. À ce moment, l'attaquant a deux possibilités : abandonner le combat ou mourir. Le défenseur offre ainsi le choix de vivre au lieu d'imposer la mort. Si l'attaquant continu de se battre à ce point du combat, il se suicide.
L'élément le plus important de Ikkyo est l'esprit. Ni l’arme ni l'habileté technique ne vous permettra d'exécuter Ikkyo si la confiance et le courage ne les dirigent pas. Vous devez entrer et prendre le dessus sur le mental de votre adversaire avec l'absence de peur qui caractérise le principe d’Irimi. Cependant, votre absence de peur doit être tempérée par le principe de Ai Nuke. Vous devez surpasser le désir de battre votre adversaire pour essayer d'atteindre le but ultime qui est de terminer le combat avant même qu'il ait commencé.
La raison la plus importante d'étudier Ikkyo est l'application qui peut en être faite dans la vie quotidienne. Rappelez-vous que l'on étudie pas l’aikido pour devenir des maîtres de sabre ou des experts en combat à mains nues. Néanmoins, développer un état de conscience de maître de sabre vous sera fort utile. Apprendre à faire face à chaque conflit de la vie avec calme et sérénité, s'impliquer totalement dans chaque défi comme si c'était le dernier, avoir de la compassion pour vos ennemis et de l'amour pour leur humanité n'est pas une moindre réussite. Si vous essayez constamment de mettre en pratique le principe d’Ikkyo dans votre vie, alors celle-ci sera remplie de réussites et de satisfactions. L'entraînement d’Ikkyo a pour objet de vous apprendre le courage et la fierté lorsque vous êtes sous pression, à rester pacifique face à une agression. Ikkyo est un état d'esprit autant qu’une technique. Cela vous donne le pouvoir d'influencer les autres pour leur bien plutôt à leur détriment.
Un jour où je demandais à O Sensei quel était le vrai secret de l'aïkido, il a répondu : « iIkkyo, voilà ce que c'est. Je vous l’ai enseigné depuis le début. » Il m'a fallu de nombreuses années d'études pour me rendre compte de la vérité de ces mots. Maintenant, lorsque je regarde mes élèves, je comprends la frustration d’O Sensei lorsque je refusais de comprendre.
Néanmoins, je comprends aussi combien il est difficile de croire que quelque chose qui paraît si simple est la charnière sur laquelle s'articule la porte de la compréhension. Ikkyo est un mouvement, mais c'est aussi la base de tous les mouvements d’aikido. C'est le premier et le dernier mouvement, le début et la fin de chaque technique. Car si vous contrôlez le début de la technique, ne contrôlez vous pas également la fin ? C'est le moment le plus simple qui soit –tout simplement entrer sans peur. Et pourtant ce mouvement est l'aboutissement de centaines d'années de batailles, de travail, d'entraînement, de raffinement mental et spirituel. C'est le principe qui vous permet de tuer d'un seul coup, et pourtant c'est le moyen d'arrêter des conflits et d'imposer la paix. Ce principe intervient dès le début de votre pratique et pourtant en comprendre véritablement le sens vous prendra sans doute toute une vie.

L'utilisation des armes en aïkido.
Vous vous demandez peut-être : « pourquoi s'entraîner avec des sabres ou d'autres armes anciennes si ce qu'on étudie n'est pas la technique de sabre proprement dite mais un principe ? Pourquoi utiliser des armes archaïques et démodées qui n'ont plus cours aujourd'hui ? » Il est vrai que l'on utilise plus de sabre ou de jo pour se battre de nos jours, il est également exact que de telles armes s'avèrent complètement inefficaces en face d'un fusil rudimentaire bien pointé, sans parler de la gamme étourdissante de missiles explosifs qui constituent l'arsenal de guerre moderne. De plus, c'est vrai que nous étudions les principes et l'état de conscience du budo et non les kata de sabre en eux-mêmes.
Pourtant je pense que le travail d'armes procure certaines qualités à entraînements qui sont difficiles à découvrir dans les techniques à mains nues. D'abord, les armes augmentent l'intensité de la pratique. Il est beaucoup plus douloureux et dangereux d'être frappé par un bokken ou un jo que par une main nue. Il est facile de se laisser aller à une rudesse motivée par l'ego au cours de la pratique à mains nues. Vous pouvez devenir plus rudes que nécessaire avec vos partenaires et être aveugle à la douleur que vous leur infligez. Lorsque vous vous entraînez aux armes, vous vous rendez compte très rapidement des conséquences graves que peut entraîner un comportement négligeant, brutal ou agressif. Vous devenez plus conscients des possibilités de douleurs et de blessures qui peuvent survenir à votre partenaire et à vous-même, et ainsi vous faîtes plus attention à votre défense et à ne pas blesser votre partenaire. Voir et ressentir la douleur de l'autre et ainsi faire preuve de compassion envers votre partenaire est une étape importante pour développer Ai Nuke.
Pour éviter les blessures lors du travail aux armes, vous devez apprendre la concentration, la vivacité de réaction, la précision et l'action décisive. Toutes ces qualités sont fort utiles pour que s'épanouisse votre pratique d'aïkido et votre vie en tant qu'être humain. Votre sens du timing et de l'équilibre, votre intuition et votre jugement devienne cruciaux dans le travail aux armes. Vous ne pouvez vous en tirer avec le degré d'à-peu-près et d'inattention que vous vous autorisez parfois ou dont vous n'avez pas conscience dans l'entraînement à mains nues. De plus, vous développez aussi plus de respect envers vos partenaires. Si vous n'avez pas de respect et n'etes pas attentif à eux, ils ont le potentiel de vous faire très mal même si ce n'est pas intentionnel.
Les armes sont un merveilleux égalisateur. Supposons que vous soyez un homme fort et costaud. Cette petite femme fragile que vous vous êtes amusés l’autre jour à projeter en tous sens à travers le tapis peut très bien vous avoir à sa merci lorsqu'elle a un bokken entre les mains. Il se peut que votre supériorité de poids dont vous aimez vous servir vis-à-vis d'autrui en combat à mains nues vous ralentisse dans le travail d'armes, tandis que cette femme sera rapide et précise dans ses mouvements. Votre histoire d'amour avec votre force musculaire aura freiné le développement de votre timing, de votre précision et de votre intuition tandis que cette partenaire qui ne peut compter sur sa force ni sur sa taille aura travaillé dur pour maîtriser ces qualités. Les armes ont cette qualité de vous apprendre l'humilité et de vous faire prendre conscience des conséquences mortelles d'une erreur.
Enfin, la nature archaïque même des armes que nous utilisons en aikido a beaucoup de valeur et nous enseigne une leçon importante. En effet, une arme comme le sabre ou le couteau a une qualité qui manque aux armes modernes : c'est une arme personnelle. Aujourd'hui il est possible d'envoyer un missile à l'autre bout de la terre sans avoir à contempler le corps des victimes, la douleur et les blessures que vous avez causées. Vous n'êtes pas obligés de regarder votre victime dans les yeux. Avec un sabre, il faut faire face à son ennemi. Il vous est alors impossible d'ignorer la réalité de la douleur et le fait que votre adversaire soit un être humain.
Évidemment dans les dojo actuels, on ne se tue pas et on ne désire pas en arriver là. Mais, avec un peu d'imagination, l'utilisation des armes vous permet de prendre conscience du sérieux de votre étude et des conséquences terribles d'une agression incontrôlée. L'entraînement aux armes doit vous enseigner la compassion et la retenue. De plus, ces armes anciennes vous laissent le choix de l'issue du début jusqu'à la fin du combat. Si vous tirez avec une arme à feu, cette décision est irrévocable, vous ne pouvez plus arrêter la balle sur son trajet. Le sabre vous permet de choisir d'épargner l'autre. Une fois que vous êtes en position de supériorité, vous pouvez épargner l'ennemi et lui faire don de la vie. Si vous gardez à l’esprit cet aspect du sabre ou du jo au cours de votre pratique, vous pourrez contrôler votre agressivité. Vous développerez un état mental plus pacifique avec le désir d'arrêter le combat plutôt que de rechercher la victoire. En résumé, les armes sont un instrument pour entraîner votre esprit et affiner votre état de conscience. De même que l'arme accroît votre allonge au niveau physique, son utilisation augmentera votre champ de perception mentale et donnera de la réalité au concept que vous cherchez à atteindre en étudiant l'aïkido.
Pour finir, je vous laisse avec ces mots sur l'importance symbolique du sabre qu’O Sensei a prononcé avant d'exécuter une danse rituelle avec un bokken. Gardez ces paroles à l'esprit au cours de votre pratique du sabre et cela vous aidera peut-être alors à relier votre conscience aux vérités universelles.

« L'aïkido éduque l'esprit humain et invoque le grand esprit de paix. En tenant ce bokken entre mes mains, j'absorbe l'énergie de l'univers. Je recueille ce ki a l'intérieur de moi et avec mon bokken je tranche les forces du mal. Cela est la technique divine de Misogi Harai. Vous devez être capables de rayonner la lumière de l'amour et de la sagesse ou alors vous n'avez pas vraiment compris l'esprit de Bu. Nous devons refléter l’âme du sabre et nous élever vers l'état divin où nous sommes en union avec le vide éternel. Un tel état de conscience est indispensable pour remplir la mission de Bu qui est d'établir la paix dans le monde entier. Nous devons être au centre de l'univers, libéré du désir de compétition et du besoin de victoire. Vivre le mystère de la triple nature de l'univers, c'est-à-dire vivre en même temps dans les mondes physiques, astral et divin en restant conscient qu'il n'y a qu'une réalité, ceci est le plus haut niveau de pratique de l’aikido.
Depuis des temps très reculés, trois trésors ont représentés l'esprit du Japon : le miroir, le sabre et les perles. Ils symbolisent la sagesse, la bienveillance et le courage, ces trois trésors qui siègent dans notre hara au plus profond de notre être et de notre conscience et qui s'actualisent grâce à la pratique. Cette voie, qui a traversée l'histoire à partir de l'époque divine des dieux nous conduira à l'éveil si nous suivons sa course. L'éveil se réalise à partir des profondeurs de notre être. L’aikido nous permet de regarder dans ces profondeurs et de nous poser la question de nos origines et de la tâche que nous avons à remplir sur cette terre. Si nous nous posons ces questions correctement, nous trouverons certainement la réponse. Il est de notre devoir de nous connaître nous-mêmes et cette connaissance est essentielle pour remplir notre mission divine. L'humanité participe à l'esprit universel et chaque individu a une part importante à jouer dans la réalisation du plan divin de l'univers. Ce monde lumineux et rempli de beauté est une manifestation de l'harmonie divine en action, et nous avons reçu d’elle le don de la vie. La signification spirituelle du sabre est d'éviter de s'en servir. Sous le signe du sabre, nous devons vivre en paix. Nous devons nous purifier. Nous devons exorciser la noirceur hors de notre âme. Nous ne pouvons passer notre vie à courir après le plaisir ou des faveurs spéciales. Il faut nous purger de la colère, de l'envie et de la jalousie. Il ne faut pas nous détourner des défis de l'existence. Nous ne devons pas laisser les démons de notre subconscient se refléter dans les actions de notre vie. Avec le courage au cœur, nous devons brandir l'épée du jugement et créer une société harmonieuse. Ceci est la mission liée au sabre de l'ancêtre de l'humanité, le dieu Izanagi. Ce mythe nous enseigne une leçon sur le secret de Bu.
L'aïkido que je pratique est une voie constructive, qui concerne la création de vrais êtres humains. Il n'a rien à voir avec projeter des gens, il n'a pas pour but d'ôter la vie. C'est la voie qui permet d'unifier l'âme, l'esprit et le corps. Chaque aïkidoka doit considérer ces vérités sérieusement avec son cœur et son esprit. »